J’avoue, souvent les Espagnols me fatiguent. Brouillons, bruyants, grandes gueules, peu rompus à ce qu’on considèrerait en France une politesse minimale, ils peuvent être pénibles. Parfois même ils m’exaspèrent, se chicorant pour des riens, incapables de négocier un accord politique – des Français en pire.
Et puis survient l’adversité, et là ils m’épatent. Même si leur Etat-Providence a désormais presque quarante ans, le temps de s’y habituer, ils ne passent pas leur temps à se plaindre que l’Etat n’en fait pas assez pour eux ou à revendiquer qu’il en fasse plus sans s’impliquer pour autant.
Ils réunissent leurs moyens et ils font ce qu’ils peuvent faire. Et prendre soin des autres, c’est un truc qu’à peu près tous les humains peuvent faire, c’est un équipement livré en série. Alors ils le font.
Je pense à une collègue de l’université d’Oviedo, qui a pris le temps de s’assurer qu’on allait bien. Et Dieu sait si elle n’a pas que ça à faire. A un collègue de l’université de Grenade, qui coche un paquet des cases de sujet à risque, mais qui me fait savoir que si nos étudiants sur place ont besoin de quoi que ce soit, il sera là pour eux (et ce ne sera pas la première fois que son aide sera précieuse).
Je pense à ces manifestations de soutien des Espagnols qui, samedi soir depuis leurs fenêtres, ont fait du bruit pour remercier les personnels soignants (vidéo tournée à Saragosse, Aragon).
A la réponse des personnels soignants, qui remercient la population dans une vidéo adorable, avant de lui demander de l'aider en restant chez elle.
L’appel à ce même type de mobilisation pour signifier de la reconnaissance à tous les employés des commerces alimentaires, grâce auxquels le ravitaillement est possible.
Au fait que dans une situation de confinement, l'un des motifs envisagés de sortie légitime de son domicile soit le fait d'aller aider une personne âgée et/ou dépendante. Que parmi les commerces jugés indispensables, on trouve les salons de coiffure, là encore pour les personnes qui pour des raisons physiques ne peuvent seules se laver les cheveux.
Ou encore à un passage du long discours du président du gouvernement, Pedro Sánchez, lors de l’annonce de l’état d’alerte, ce même samedi :
“Ce sont des temps d’extraordinaire difficulté, mais notre pays est plus extraordinaire encore. Comme je l’ai déjà dit, chacun d’entre nous a une mission. Les professionels de santé ont la leur, et de la plus haute importance : ils nous protègent tous. Les administrations, qui doivent les fournir en ressources et se coordonner ; nos aînés, qui doivent se protéger au maximum ; les jeunes aussi, qui doivent respecter la distance sociale. Chaque citoyen, chaque citoyenne en a une : prendre soin de soi, et prendre ainsi soin du reste de la communauté.
C’est le moment de la discipline et de la responsabilité sociale, mais c’est aussi le moment de l’engagement envers les plus vulnérables.
Nous devons aujourd’hui nous rappeler que ce sont nos aînés qui nous ont sauvés lors de la crise économique de 2008. Des grands-pères et des grands-mères qui ont été la planche de salut de beaucoup de familles, et par conséquent de la société dans son ensemble. C’est de leurs pensions de retraite qu’est sorti l’argent pour remplir nos garde-mangers, pour payer les factures ou l’entretien des jeunes étudiants. Leur toit a été, en de nombreuses occasions, celui qui a donné un abri à toute la famille.
Nos aînés nous ont donné plus que de l’aide : ils nous ont donné un grand exemple. Dans cette crise, ce sont eux qui ont le plus besoin de notre aide ; et cette crise nous donne aussi l’occasion de démontrer que nous avons appris de leur exemple, que nous sommes capables d’être à la hauteur de nos aînés, et de réagir.
Démontrons que cette solidarité entre les générations est un fait.”
Dans ces circonstances, je trouve les Espagnols admirables.