Le 16 décembre 2019, la Commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l'étranger du Parlement marocain a adopté deux lois sur les frontières maritimes, fixant jusqu’à 200 milles marins la zone économique exclusive du royaume face à ses côtes, régions 11 et 12 du pays comprises ; autrement dit, le Sahara Occidental.
Des textes internationaux et de leur libre interprétation
En vertu de la convention des Nations Unies sur le Droit de la mer, dite de Montego Bay, adoptée en 1982, les Etats ont de droit une ZEE qui s’étend à 200 milles des côtes en l’absence de pays tiers ; cette ZEE peut être étendue jusqu’à 350 milles marins (648 km) de ses côtes, sous réserve d’un plateau continental ininterrompu.
Or les Canaries sont à un peu plus de 100 milles des côtes africaines. Donc problème.
La presse marocaine rappelle que (selon la même convention de Montego Bay) les îles d’un Etat n’ouvrent pas droit à une ZEE mais à une mer territoriale de 12 milles (22 km) et que les Canaries sont dans ce cas, puisqu’il ne s’agit pas d’un Etat-archipel.
La presse espagnole passe sous silence cet aspect et évoque systématiquement une ZEE de 200 milles marins (conformément à la carte consultable sur Wikipédia et qui illustre cet article), sauf en face de l’Afrique où elle est fort logiquement réduite à la moitié de l’espace maritime. Bien loin donc d’une simple “mer territoriale”.
Mais de son côté, la revendication du Maroc ne tient que pour autant que le Sahara Occidental fasse partie de son territoire, ce qui n’est pas le cas du point de vue de l’ONU, pour lequel cette zone est un territoire non autonome – et au statut à régler.
Un trésor sous-marin potentiel
Pour corser la chose, on trouve au sud des Canaries des dizaines de monts sous-marins formés par les mêmes processus que les îles, mais des millions d’années auparavant. De nature volcanique, ils regorgent de “croûtes” de ferromanganèse bourrés de métaux rares et utiles. Les treize plus importants sont connus comme les “grands-mères des Canaries”.
Douze de ces “grands-mères” sont à moins de 200 milles des Canaries. Le mont Tropic - la treizième grand-mère – est au-delà. Or ce volcan de 119 millions d’années, de 3 200 mètres de haut, serait (très) riche en tellure, un semi-métal indispensable à l'élaboration de cellules photovoltaïques, et également utilisé pour la fabrication de composants électroniques. D’après les chercheurs britanniques qui ont étudié la question, le gisement, estimé à 2 600 tonnes, serait le plus grand au monde – 10% des réserves mondiales connues.
Qui veut gagner des millions
Le mont Tropic se situe présentement dans les eaux internationales, dans une zone pour laquelle l’Allemagne, la France, la Russie, la Chine, la Corée du sud et l’Inde ont des permis d’exploration.
L’Espagne a procédé à des expéditions exploratoires dès 2014 pour documenter une demande d’extension de sa ZEE à l’ONU, en se fondant sur la continuité du plateau continental. L'extension maximale étant de 350 milles selon la Convention de Montego Bay, l'Espagne a largement moyen de récupérer le Mont Tropic, situé à 269 milles marins de la limite méridionnale des Canaries.
Reste que le Sahara Occidental, s’il était constitué en Etat souverain, pourrait aussi porter une telle revendication.
Madrid pas content ?
L’examen par le Parlement marocain des deux lois citées plus haut, prévu le 23 décembre dernier, a été ajourné.
D’après la presse marocaine, l’Espagne aurait fait pression en ce sens ; le ministère espagnol des Affaires Etrangères a également rappelé que la délimitation des eaux de pays voisins doit se faire dans le cadre du respect de la convention sur le Droit de la mer, mais aussi par accord mutuel.
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