Opération Juste Cause : 30 ans de l’intervention militaire américaine au Panama

12/19/2019, 11:00:00 PM dans Amérique

Dans la nuit du 20 décembre 1989, l’armée a déployé près de 27.000 soldats et ses meilleurs moyens technologiques pour s’emparer du général Noriega, dirigeant de fait du pays depuis 1983, et à l’ascension duquel les Etats-Unis avaient activement contribué.

Un bon petit soldat (US)

Issu d’un quartier pauvre, Noriega avait vu dans une carrière militaire le moyen d’améliorer sa condition. En 1967, il reçoit une formation complémentaire à l’US Army School of the Americas, qu’on ne présente plus, et la CIA le recrute la même année. Il deviendra le bras droit d’Omar Torrijos, arrivé à la tête du Panama en 1968 en renversant le président Arnulfo Arias Madrid.

Le pouvoir de Noriega se renforce et, lorque Torrijos meurt en 1981 dans un accident d’avion sujet à débat, son numéro 2 prend la main sur le pays, qu’il dirigera de fait de 1983 à 1989.

Il revient sur la politique anti-américaine d’Omar Torrijos et sert d’intermédiaire aux Etats-Unis en livrant leurs armes aux Contras, groupe paramilitaire voué à lutter contre la guérilla sandiniste au Nicaragua.

Le but ultime de l’enrichissement personnel

Mais le protégé panaméen n’a pas que des vertus pour son grand frère du nord. Collaborateur de la CIA, il offre au bloc soviétique, via Cuba, des informations précieuses et du transfert de technologie états-unienne.

Parallèlement au soutien aux Contras, il trafique des armes qu’il vend aux mouvements insurrectionnels communistes latino-américains. Et enfin, il s’entend avec le cartel de Medellín à qui il fournit les moyens d’une exportation massive de cocaïne vers le nord.

Tout à fait accessoirement, c’est un sadique sanguinaire, adepte des morts lentes et douloureuses chez ses opposants ou supposés tels.

Lâché par les Etats-Unis en 1987, Noriega sera accusé de trafic de drogue et de racket en 1988.

Un changement de paradigme

Au cours des années 80, les Etats-Unis réduisent leur soutien aux dictatures qu’ils ont contribué à installer.

1989 est une année-clé. Alors que Noriega a trafiqué les élections du mois de mai pour éviter la victoire d’un candidat civil, le bloc soviétique a perdu de sa puissance, et le petit dictateur panaméen cesse d’être aussi important pour la doctrine de sécurité des Etats-Unis. Le mur de Berlin s’effondre en novembre, et les US trouvent en décembre un motif presque légitime d’intervention militaire au Panama.

Le prétexte : protéger les citoyens américains

La mort d’un marine le 16 décembre, un autre brutalisé et sa femme violée : tel a été le déclencheur utile d’une opération présentée comme destinée, selon le discours délivré aux principaux présidents latino-américains, à arrêter Noriega, protéger des vies états-uniennes et aider le Panama à restaurer le gouvernement démocratique. Sans que le président Bush, dont la teneur des conversations vient d’être déclassifiée, ait évoqué les risques de dommages collatéraux.

Combien de victimes ?

30 ans après les faits, on ignore toujours le nombre de victimes laissées par les bombardements massifs et les fusillades dans les rues. Officiellement, 300 militaires panaméens, 214 civils, et 23 militaires américains ; certaines organisations non gouvernementales évoquent plusieurs milliers de Panaméens, dont les corps ont été enterrés sans identification dans des fosses communes. On peut y ajouter un Espagnol, seul étranger tué : Juantxu Rodríguez, photographe de El País, victime de tirs croisés de soldats états-uniens dans lesquels ont été pris une demi-douzaine de journalistes.

Les gouvernements successifs, grands amis des Etats-Unis, n’ont pas souhaité faire creuser ni les faits, ni les fosses. Pour le cinéaste Abder Naim, auteur en 2014 d’un documentaire sur l’invasion des troupes américaines, on peut parler d’amnésie collective.

Pour la première fois, ce 20 décembre sera jour de deuil national. Pour autant, pas question de demander des comptes aux Etats-Unis pour les morts, les blessés, les vies brisées et les quartiers détruits.