A Madrid, tempête autour d'un master éminemment politique

4/4/2018, 4:39:20 PM dans Espagne

Depuis deux semaines, les médias espagnols se passionnent pour le CV de Cristina Cifuentes, présidente autonomique de la Communauté de Madrid. A-t-elle véritablement obtenu son master de Droit Public, ou est-ce un diplôme de complaisance ? L'affaire pourrait déclencher une motion de censure contre son gouvernement.

C'est le 21 mars que le journal indépendant de gauche El Diario (une sorte de cousin d'un Médiapart, pour vous situer) a émis les premiers doutes : le master de Droit Public de l'Etat Autonomique validé par Cristina Cifuentes en 2011-2012 à l'université madrilène Rey Juan Carlos est-il véridique ?

Valider un master en un an n'est pas impossible, bien sûr, l'Espagne ayant choisi, lors de l'harmonisation européenne (sobre su palabra...) découlant du processus de Bologne, d'adopter un master en un an, et une licence en quatre, parce que tout de même, Spain is different.

Mais ce n'est pas là le problème que soulèvent les médias, lesquels, entre un accident de la route impliquant des éléphants et la rebuffade infligée à la Reine émérite par la reine en titre, se passionnent pour la question.

Et il en ressort que :

- deux notes (celle d'une matière et du mémoire de fin d'études) ont été modifiées en 2014, soit deux ans après la fin de l'année d'inscription de Cifuentes à la URJC. Là où Cifuentes apparaissait comme "non notée" (absence aux examens, et mémoire non soutenu), elle a désormais la mention bien. Selon l'intéressée, une erreur qui a été corrigée tardivement. Ca peut.

- l'impétrante ne pouvait pas assister aux cours donnés le jeudi car elle siégeait à la même heure à l'Assemblée, en sa qualité de députée autonomique ; et elle n'apparaît pas non plus dans la liste des dispensés de cours. Cela dit, allez savoir six ans après qui était dispensé de cours dans le cadre d'un master qui n'existe même plus. L'administration, les professeurs ? Oui probablement, mais attendez, ils se mettent d'accord sur la version officielle. On n'arrive déjà pas à savoir qui était responsable du master à l'époque.

- Cifuentes a perdu son exemplaire du mémoire de master. Comprenez, elle a déménagé trois fois depuis - personnellement je comprends tout à fait, j'ai moi-même retrouvé mes mémoires de DEA et de master tout récemment, soigneusement rangés dans mon bureau à la fac, sous une bonne couche de poussière - et puis ce n'est pas un mémoire long, et encore moins une thèse. Quant à l'université, elle devrait en avoir un exemplaire aussi ; mais voilà, les mémoires sont nombreux et encombrants, et on les détruit donc au bout de quatre ans, pas de chance. Le directeur de mémoire devrait s'en souvenir, tout de même ? Assurément mais on n'arrive pas non plus à retrouver qui c'était. En tout cas, il ne s'est pas empressé de se faire connaître, même pas de sa faculté.

Comme les gens sont tout de même des aigris agressifs, Cifuentes a produit un certificat attestant de l'obtention de son diplôme. Vous me croirez si vous voulez, il y a eu des esprits chagrins pour aller démontrer que ledit certificat a été émis le 21 mars 2018, quelques heures après les révélations de El Diario. Alors que franchement, des certificats rétrospectifs, ce n'est pas du domaine de l'impossible. Quand on peut arranger ses étudiants, on le fait.

Ah, mais il se trouve aussi que deux des trois signatures du jury de soutenance semblent avoir été imitées. Auraient-elles été falsifiées ? Les deux signataires putatives ne feront aucun commentaire public avant d'avoir pu échanger en interne à l'université. Curieusement, tous les médias supposent qu'il s'agit là encore d'unifier les versions. Mais "l'université enquête" (et la Conférence des Présidents d'Université, la CRUE, a mandaté deux experts pour aider).

Il y a quelques autres bizarreries dont je vous fais grâce.

Côté politique, la présidente Cifuentes comparaissait aujourd'hui devant l'Assemblée, à la demande de l'opposition, pour apporter des éléments de réponse aux nombreuses interrogations. Pour son parti - le Parti Populaire - la chef de file locale a été ferme, convaincante et solide. Le PSOE hésite toujours à déposer une motion de censure, mais Ciudadanos n'a pas l'air près à suivre.

Le feuilleton pourra durer encore longtemps.