Jésus sadique, d’accord ; mais gay, scandale !

12/28/2019, 11:00:00 PM dans Amérique

Les fondamentalistes religieux sont de plus en plus virulents. Un programme humoristique brésilien en fait les frais.

Un représentant de Netflix convoqué par une commission du Congrès brésilien. 2,2 millions de signatures pour une pétition, rien qu’au Brésil (l’épidémie s’étend, pour le même motif, en Colombie et au Pérou). Une attaque aux cocktails Molotov la nuit de Noël (douce nuit, sainte nuit), revendiquée par le Commando d’Insurrection Populaire Nationaliste de la Grande Famille Intégraliste Brésilienne (si, il paraît que ça existe. En tout cas ils se donnent beaucoup d’importance).

Pourquoi tant de haine dans un monde déjà si cruel ?

Le programme spécial de Noël de la maison de production satirique Porta dos Fundos a fait carton plein cette année chez les rageux et autres chevaliers blancs autoproclamés de la religion chrétienne (sans distinction entre catholiques et évangéliques, mais tout de même plus chez les seconds).

Au cours des 46 minutes que dure La première tentation du Christ, diffusée sur Netflix, on trouve tout plein d’hérésies ou de satires selon le point de vue, mais surtout l’insinuation d’une relation homosexuelle entre Jésus et son copain Orlando, recontré dans une oasis du désert. Curieusement, que la Vierge Marie et Dieu aient eu des relations charnelles n’a pas autant provoqué l’ire des mécontents (dont on doute, soit dit en passant, qu’ils aient vu l’épisode).

“Affront aux commandements constitutionnels”, “atteinte religieuse aux valeurs chrétiennes”, “blasphème”, “dénigrement” (vilipendio) en vertu de l’article 208 du Code Pénal (libre interprétation), “Netflix attaque les chrétiens” : c’est à qui trouvera la meilleure attaque contre le programme humoristique. Les contempteurs exigent pêle-mêle le retrait du programme du catalogue Netflix, des excuses, que la maison de production reconnaisse avoir commis un crime contre la foi. Que les scénaristes s’immolent par le feu avec les chapeaux pointus de l’Inquisition n’est pas demandé mais on sent bien que ce serait un plus (et la main de Dieu, à tous les coups).

“Cela dit beaucoup sur l’homophobie dans notre pays”

Interviewé par El País, Gregório Duvivier, de Porta dos Fundos et qui incarne Jésus, commente que les critiques sur leurs productions satiriques sont monnaie courante, mais inhabituellement virulentes cette année. Le programme spécial de l’an passé, parodiant la Cène, avait pourtant montré un Christ sadique adepte de la torture, sans soulever un tel tollé. Sans doute une tradition nationale à préserver ? Cet épisode sera probablement touché par ricochet, d’autant qu’il vient de gagner l’Emmy international à la meilleure comédie de 2019.

Quant aux revendications des acharnés, ni Netflix ni Porta dos Fundos ne sont disposés à les satisfaire. D’abord parce que, même dans le Brésil de Bolsonaro, la liberté d’expression reste inscrite dans la Constitution – une plainte antérieure contre la production a été classée sans suite par la justice, au grand dam d’un pasteur évangélique député qui l’avait appuyée (la plainte, pas la production).

Ensuite, parce que le programme n’a pas reçu de fonds publics, qu’il n’est pas diffusé à la télévision et que, par conséquent, ni les contribuables ni les téléspectateurs ne sont lésés ou attaqués. Il s’agit d’une émission disponible à la demande, qui suppose une action précise pour être visionnée. Difficile de tomber dessus “à l’insu de son plein gré” ; et aucune obligation de rester devant si ça ne vous plaît pas.

Dans un pays où l’appui des églises évangéliques, “pompes à fric” qui manipulent joyeusement leurs adeptes, est déterminant pour occuper un poste politique d’importance, la lecture de plus en plus mystico-conservatrice de l’Evangile pose nombre de problèmes aigus. Et que les fidèles veuillent réduire au silence tous ceux qui diffèrent d’eux (les Noirs, les pauvres, les athées, les adeptes d’autres religions, les LGBT+...) au nom d’une religion de paix et d’amour n’est pas le moindre.