En France, les universités ont fermé leurs portes jusqu'à l'été : les partiels n'auront pas lieu en cohorte dans un amphithéâtre mais derrière un écran, chacun chez soi. En Espagne, si une partie des enseignants universitaires appelle encore de ses voeux des épreuves finales sur table, il a bien fallu faire déjà des examens à distance.
Les étudiants s'inquiètent d'une éventuelle perte de valeur du diplôme obtenu dans ces conditions qui favorisent la triche, et donc une appréciation erronée de leur niveau (enfin généralement, plutôt d'une appréciation excessive de celui des autres, ce qui entraîne de leur point de vue une dévalorisation du leur). Constat qui, en application de la théorie des jeux, les mènera probablement à tricher eux aussi. Alors qu'en fin de compte, une fois l'université finie, ce sont surtout leurs capacités d'adaptation et leur faculté à apprendre qui serviront.
Derrière les écrans, la triche
Si les examens présentiels étaient la panacée, ça se saurait. Chaque année revient l'accusation de triche contre des condisciples dans les amphis trop remplis. Et c'est vrai que les surveillants ne s'en rendent pas forcément compte : j'ai le souvenir d'un étudiant jamais vu au cours, et qui dans l'examen final m'a sorti des éléments issus des premières réponses de Google pour les mots-clés de la question. Je ne l'ai pas vu tricher pendant l'épreuve. Par contre je l'ai bien repéré à la correction !
Accessoirement, il me paraît fort peu raisonnable d'imaginer que la correction sous anonymat est parée de toutes les vertus d'impartialité. Si les tests automatisés font râler les étudiants, la correction par un humain comporte forcément des biais, même si on s'efforce de les éviter. Une note reste une évaluation attribuée à un devoir donné en fonction des conditions de correction.
En Espagne, où la picardía (notion intraduisible en français, qui va de l'espièglerie à la roublardise en passant par l'astuce et la ruse) est attestée depuis le Lazarillo de Tormes - 1554, tout de même - les options pour tricher sont légion dans ces nouvelles circonstances. En cas d'examen surveillé par webcam, mettre son cours hors champ ; ou son téléphone pour consulter les amis ; ou le grand frère, et même le parent à côté pour souffler les réponses (évidemment, les applications surveillent par webcam, mais on oublie le son...). Pour optimiser ses chances, faire appel à un particulier ou son academia habituelle - ces entreprises de cours et soutien scolaire - qui, pour 15 à 35€, prendra la main sur l'ordinateur de l'élève pour faire le devoir, ou enverra les réponses au sujet photographié et envoyé par mail au début de l'épreuve.
Qu'est-ce que c'est, tricher ?
Mais si un élève peut tricher, c'est que l'examen le permet. Je n'ai rien contre l'évaluation de l'assimilation des connaissances - j'ai fait un examen de ce type ce semestre, je ne jetterai la pierre à personne.
Pour l'anecdote, les étudiants de cours de Culture internationale Espagne étaient autorisés à utiliser leurs polys et leurs notes de cours, mais il fallait les connaître suffisamment pour retrouver la bonne information en temps limité et réfléchir (un peu) à partir de ça. Et j'ai évidemment grillé ceux qui ont copié-collé des infos trouvées sur internet (coucou Wikipédia) et une partie de ceux qui se sont consultés sur la réponse à apporter. Je n'ai pénalisé que ceux pour lesquels ça représentait plus de 25% des réponses. Les résultats sont-ils meilleurs que si l'examen avait eu lieu sur table ? Pour certains, oui, probablement. Mais au moins, ils auront relu le cours - j'espère qu'ils auront retenu les points importants. L'adrénaline générée par le stress de l'examen contribue à la mémorisation.
Et puis il a fallu improviser : quand on travaille depuis un semestre dans l'optique d'un type d'examen, pas évident de le transformer pour l'adapter à la situation sans pénaliser les étudiants. Surtout si on est soi-même dans une situation de pression, de stress, et qu'on a des enfants à gérer (moi pas, merci, mais plein de profs, oui).
Mais l'important, ce n'est pas le savoir pour le savoir, c'est ce qu'on est capable d'en faire après : l'exploiter dans une application pratique, s'appuyer dessus pour réfléchir...
Une bonne note... d'optimisme
Alors, il faudra prendre le temps de réfléchir à ce que cette "continuité pédagogique en mode dégradé" (c'est pas de moi) nous aura appris (pas avant la réouverture des bars cependant, parce qu'il faut prendre du recul) mais comme le souligne l'un des profs de collège interviewé par El País, la "capacité [de ses élèves] à surmonter les problèmes de manière coopérative, solidaire et avec les outils à leur portée démontre mieux que n'importe quel examen leurs compétences pour le XXIè siècle".
C'était l'esprit du processus de Bologne, petit ange parti trop tôt dans des directions administrativo-technico-relous, laissant ici tout espoir d'une pédagogie plus en phase avec la vraie vie.
Car enfin, dans la vie professionnelle, on peut avoir recours à des documents, à des aides de tout type, aux échanges avec les collègues. L'important, ce sera d'utiliser son cerveau efficacement pour utiliser au mieux ces outils et fournir le meilleur résultat possible.