Paraguay: le procès en destitution du président Lugo en direct

6/22/2012, 9:00:15 AM dans Amérique

Les députés paraguayens ont voté hier à la quasi unanimité (76 pour, 1 contre) un procès en destitution contre le président Fernando Lugo. Un procès express: il sera fini ce soir. Je tâche de suivre en presque direct et de retransmettre ici en français l'évolution des événements.

Le déroulé du procès, adopté hier, est le suivant (j'utilise l'heure française): 18h: présentation de la défense; 20h: délibéré des sénateurs; 22h30: publication de la sentence.

Plus tôt dans la journée, Lugo a présenté devant la Cour Suprême un recours en inconstitutionnalité contre son procès express. Son défenseur Enrique García dénonce la violation des garanties de la bonne tenue du procès, le temps de préparation de la défense ayant été inférieur à une journée. Pour García, le procès est entaché de nullité; il le qualifie également d' "arbitraire, inadmissible et illégal", et il demande sa suspension jusqu'à l'étude du recours. Deux des membres de la Cour étant à l'étranger, a déclaré Alicia Pucheta de Correa, également membre de la Cour Suprême, elle n'est "pas certaine" que la Cour pourra étudier le recours aujourd'hui. C'est pas comme si c'était urgent, pensez donc. Et le procès se tient.

Dans la journée, l'Organisation des Etats Américains (OEA) s'est réunie d'urgence avant de commenter prudemment que sur le fond, ils n'ont bien sûr rien à dire, mais sur la forme, ils trouvent ce procès un peu rapide. L'OEA n'a pas fait montre d'une utilité frappante lors des périodes de tension du continent au cours de ces dernières années, particulièrement à la suite du coup d'Etat au Honduras en juin 2009.

Dans un entretien à Telesur hier, Lugo a affirmé que le "coup d'Etat express" contre lui avait été orquestré dans la nuit de mercredi à jeudi. Il a désigné Horacio Cartes, pré-candidat du Parti Colorado, au pouvoir pendant plus de 60 ans et qu'il a battu lors de son élection, comme le bénéficiaire de cette opération.

19h: La défense intervient donc depuis 40 minutes (la session a commencé avec vingt minutes de retard) devant les sénateurs. Le Président Lugo, qui devait assister à la session, est finalement resté au palais présidentiel, devant lequel des militaires ont semble-t-il pris position. Un des défenseurs du président a demandé un temps de parole supérieur à deux heures pour la défense.

20h45: La défense n'a utilisé que 84 minutes des 120 qui lui étaient octroyées (moins 20 puisque la session a commencé en retard). Elle a insisté sur le fait que personne ne peut être condamné pour ses convictions politiques, si j'ai bien compris, parce que je ne vois pas le rapport avec le motif du procès.

L'UNASUR évoque une possible suspension du statut de membre du Paraguay de ce regroupement des douze pays d'Amérique du sud, si le président Lugo devait être destitué ce soir. Telesur montre des images de manifestations de soutien au président dans les rues de la capitale Asunción. Selon les propos du tout récent secrétaire général de la Unasur Alí Rodríguez, les Paraguayens sont inquiets, car si les droits du président ne sont pas respectés, comment ceux des citoyens de base vont-ils l'être? (Rappel: Telesur est la chaîne de télévision du bloc d'intégration de gauche ALBA autour du Venezuela de Chavez, donc pro-Lugo).

21h: Après vingt minutes de pause, reprise des travaux. Le sénateur Carlos Filizzola, du Parti País Solidario (gauche), et qui me semble être l'ancien ministre de l'Intérieur justement destitué le 16 juin, rappelle les conditions du procès, souligne le retentissement national et international, et demande que l'on respecte les formes, en accordant 72h de plus au procès. Il présente une motion formelle en ce sens.

21h05: Le sénateur Galaverna, du Partido Colorado - le parti qui a poussé à intenter le procès; le propriétaire terrien sur les terres duquel ont eu lieu les affrontements mortels, Blas Riquelme, fut également sénateur colorado - prend position contre la motion, en arguant du fait que la défense n'ait pas utilisé les deux heures qui lui étaient imparties. Conclusion, elle n'a pas besoin de plus de temps. D'autre part, explique-t-il, l'essentiel de la défense a consisté à mettre en avant l'inconstitutionnalité du procès.

21h20: la discussion tourne encore autour de l'opportunité de repousser le procès de 72h, pour le reprendre lundi. Il reste théoriquement une heure dix de procès.

21h30: nouvelle suspension de séance, de 5 minutes. Soit Telesur caviarde son direct, soit les conditions d'une décision politique très lourde sont vraiment pathétiques (le sénateur qui rappelle le réglement et qui se fait bâcher sur le thème "on l'a tous lu, ça fait partie de notre job", grandiose).

21h35: communiqué de l'UNASUR, lu par Alí Rodríguez. Rappelle les circonstances et le mandat de la mission des représentants de l'UNASUR. Réunions avec le président Lugo, le vice-président Federico Franco, diverses autorités législatives dont ils n'ont pas obtenu les garanties escomptées. "Menace de rupture de l'ordre démocratique faute de respecter le processus..." et tiens, on a été coupés.

21h45: la suspension de séance continue. Telesur en profite pour faire passer les interviews de toutes les personnes qui parlent de "coup d'Etat démocratique": à l'instant l'ambassadeur nicaraguayen (un modèle de démocratie) à l'OEA. A l'extérieur, des images de la police montée. Et ma connexion coupe...

21h50: le ministre vénézuélien des Affaires Etrangères Nicolas Maduro vivement interrogé par les journalistes sur l'intromission dans la politique intérieure et la supériorité supposée ou affirmée des accords internationaux sur la Constitution nationale. Chazal et Pujadas seraient ho-rri-fiés d'entendre le ton de leurs collègues. "Le peuple paraguayen les jugera", répond Maduro.

21h56: je ne voudrais pas manquer de respect aux élus paraguayens mais cette session est une vaste blague. On se raconte n'importe quoi et on fait des pauses pour passer le temps. Pendant ce temps, la police anti-émeutes continue à prendre position autour du Congrès. 21h58: la session a repris, on explique que la défense n'a passé que 24 minutes à présenter des arguments. Ca tourne en rond... Arguments contre Lugo: il a laissé entrer des subversifs dans les casernes. Aaaahhh on parle enfin de l'EPP, la guérilla locale, j'aurais été déçue. Lugo a toujours fui quand il aurait dû faire face, y compris en quittant le pays... (ça vient de loin, ces accusations. Ils ont eu 4 ans pour les polir...) 22h06: Ca fait maintenant plus de huit minutes que le représentant du peuple à veste claire et curieuses rayures lit ce qui paraît être un acte d'accusation en règle. Il s'agit certainement du député Oscar Tuma, probablement le plus calé sur la question, puisqu'il a rédigé l'accusation (j'ai bon!) basée sur cinq actes ou comportements du président Lugo inappropriés et qui tomberaient sous le coup de la mauvaise gestion.

22h17: la parole repasse à la défense en la personne d'Adolfo Ferreiro, qui après avoir coupé son portable qui sonnait explique que "personne ne va se souvenir de ce qui s'est dit dans les couloirs", et Telesur reprend la liaison avec son envoyée spéciale au lieu de nous laisser le direct du Sénat. // Retour: Ferreiro parle maintenant de l'Inquisition, des procès de Prague, des staliniens... Il dénonce également la façon superficielle dont a été mené le procès. Il explique que l'accusation n'a rien démontré (j'ai des blancs mais la connexion lâche!). Au passage, il ramasse Tuma. Ca donne l'impression que plus longtemps il parle et plus la sentence de culpabilité sera annoncée tard.

22h31: "Vous êtes les pères de la patrie, messieurs les sénateurs - et les mères aussi". Ferreiro parle des piliers de la nation et des décisions qui sont la porte ouverte aux crimes contre l'humanité, je sais c'est un peu décousu, mais moi je retranscris ça pêle-mêle, aussi. Je voudrais vous y voir, quand dans la même phrase il évoque un film sur un dictateur militaire, le coeur sous la soutane, la décrépitude, sa grand-mère, si ça n'était pas clair avant il joue la montre (scandale moral pour la nation) au point que le président l'a rappelé à l'ordre.

22h36 et Ferreiro parle toujours, il expose à présent que c'est un médecin qui doit déterminer l'incapacité mentale, que donc on parle probablement d'autre chose dans ce procès, et que "l'incapacité politique" a plus à voir ici avec un désaccord politique, mais que ça c'est la démocratie, et qu'on ne peut pas juger le président pour cela, "à la lumière de l'envie d'un intellect faible" ("a la luz del antojo de un intelecto flojo"), là on est partis sur les particules élémentaires. J'hésite d'un coup à monter une usine de paracétamol au Paraguay, je pense qu'il y a un marché.

22h41: Ferreiro attaque la conclusion (en indiquant qu'il lui reste 6 minutes de temps de parole): ce qui est en train d'être commis est une erreur grave par rapport à l'avenir, et "ce n'est pas la première fois que ça arrive dans cette Chambre, dans ces Chambres". Là j'ai raté des références. Des manifestants prennent la police à partie devant la vice-présidence de la République. Les CRS locaux, en formation de tortue d'un point de vue militaire, repoussent les protestataires, et c'est très dur de suivre à la fois le discours de Ferreiro et les cris des manifestants qui expliquent qu'ils ont le droit de manifester, merci Telesur pour le combo.

22h46: fin de cette phase. Suspension de séance.

23h: Une demi-heure de retard déjà pour la sentence, mais ce n'est pas meilleur signe pour Lugo, même si le communiqué de l'OEA peut faire hésiter certains. Le Paraguay est enchâssé au sein de l'Amérique du Sud, et s'il est suspendu de l'UNASUR et du MERCOSUR, ses échanges internationaux vont être beaucoup plus difficiles. Pour rire un peu plus, le Paraguay a pris le mois dernier la présidence tournante de l'Unasur.

23h09: Nouvelle prise de parole, je n'arrive même plus à comprendre si c'est la défense, l'accusation ou la lecture d'une copie de bac. Ca doit être plutôt l'accusation, on accuse Lugo d'avoir nommé chef d'Etat-Major un colonel de l'armée de l'air trafiquant de drogue... Il est à présent question des droits de l'enfant, on ressort les paternités de Lugo!

23h17: Est à présent évoqué le massacre de Curuguaty, le détonateur du procès. Puis lecture d'une déclaration de la Conférence Episcopale (dont les relations avec Lugo sont tendues depuis qu'il s'est lancé en politique) et qui considère que Lugo n'est pas le dirigeant idoine, avec plein de Très Saintes Vierges Marie dans le texte. Références au procès politique contre Collor de Mello au Brésil, qui a duré trois mois (c'était en 1992); impossible au Paraguay, qui n'envisage pas dans sa Constitution la suspension du président.

23h23: Nouvelle allocution du sénateur Galaverna, qui demande le passage au vote.

23h24: le vote final a commencé! Tous contre Lugo pour le moment, sauf un qui "rejette fermement ce cirque".

23h30: 2 absents, 4 votes contre, 39 votes d'accusation: le président Lugo est destitué immédiatement. Le vice-président Federico Franco devrait assumer le pouvoir jusqu'au 15 août 2013.

23h38: Copie d'écran de TeleSur. Les heurts entre manifestants et policiers ont commencé à l'annonce de la sentence. Gaz lacrymogènes et camions à eau en action. On se retrouve demain.

Comment on en est arrivé là: Les cinq chefs d'accusation qui ont mené à la destitution du président Lugo