Juan Carlos, vieil éléphant harcelé

4/17/2012, 12:38:57 AM dans Espagne

De son lit d'hôpital madrilène, le roi d'Espagne doit penser qu'il y a des semaines où on ferait mieux de se casser la hanche que d'attraper la scarlatine... Quoique, tiens. Après son safari africain écourté pour les raisons que l'on connaît, alors que Jaime Marichalar a déclaré n'être pour rien dans l'accident de chasse de son fils princier (revoir l'épisode), voici que l'ex-associé du vilain gendre, Iñaki Urdangarín, affirme que le roi était au courant de leurs affaires - de corruption, pour mémoire - et qu'il a aidé à capter certains marchés. Nouveau cyclone médiatique et sociétal en perspective.

Une bonne partie de la société vitupère contre la chasse à l'éléphant du monarque - pour différents motifs: la protection des espèces menacées, le moment mal choisi pour jeter l'argent par les fenêtres des jeeps botswaniennes alors que le gouvernement demande de nouveaux sacrifices à la population, le fait que le gouvernement ignorait où était le roi, imaginez qu'il ait été pris en otage comme un vulgaire plébéien! La presse nationale se déchaîne - pour mettre en cause le fonctionnement de la monarchie ou pour attaquer ceux qui mettent en cause le fonctionnement de la monarchie, la presse internationale s'en fait l'écho. WWF Espagne, dont Juan Carlos est - était - président d'honneur, déplore le préjudice que cela représente pour sa notoriété - pensez, les donateurs pourraient s'enfuir. Au cours des manifestations de dimanche contre les coupes budgétaires supplémentaires dans la santé et l'éducation on a entendu le slogan "los currantes no cazan elefantes", les travailleurs ne chassent pas l'éléphant.

La Maison Royale a fait savoir que le roi, au cours de sa convalescence, lisait la presse et regardait la télévision, "et qu'il était bon qu'il le fasse". Histoire de se tenir informé de l'opinion du petit peuple? La reine n'a pas écourté son voyage en Grèce et sa visite à l'hôpital, à son retour, a duré quinze minutes montre en main. Un peu lasse des aventures de son royal époux?

Cet incident est l'occasion de rappeler toutes les lacunes du droit espagnol quant à la monarchie: rien dans la Constitution sur un roi qui serait indisponible mais pas empêché. Rien sur le rôle de l'héritier. Par extension - tant qu'on y est, prix de gros - rien sur ce qui doit se passer en cas de naissance de royaux jumeaux (quoique, là-dessus, un bon masque de fer et hop). La Constitution n'envisage pas non plus l'abdication du roi. Bref, il manque plein de choses dans cette constitution - qui au passage comporte toujours la priorité de l'héritier mâle sur l'héritière, même si elle est son aînée - mais la Maison Royale préfère créer des usages que les faire entrer dans le droit. A ceci près qu'une monarchie parlementaire, au XXIè siècle et en plein crise, a peut-être intérêt à se tenir un peu à carreau si elle veut assurer son avenir.

Et c'est en plein milieu de ce maëlstrom que l'on apprend que le souverain n'est pas intervenu dans les affaires de son gendre, Iñaki Urdangarín, uniquement pour lui dire de tout arrêter. Dans des courriels de 2007 adressés par ledit gendre à son associé, il lui indique que le roi fera jouer ses relations et son entregent pour les aider dans un projet d'amis lié à la 33ème Coupe de l'América. Chacun connaît la grande passion de Juan Carlos pour la voile, juste derrière sa passion pour les safaris.

D'ici à ce que l'on ressorte les royales casseroles - il y en a une belle batterie mais une armée de petit personnel s'active à les maintenir fermement pour éviter qu'elles ne tintent - concernant notamment les "placements malheureux" du roi dans des affaires d'amis... Après tout, le prince Felipe est plus que prêt pour le job, et même l'empereur Charles Quint (Charles Ier d'Espagne) avait abdiqué pour aller lire des romans de chevalerie à l'Escorial. C'est toujours mieux que de finir au cimetière des éléphants.